L’abstraction géométrique qui s’est largement manifestée dans les premières années dérive, pour certains sculpteurs, vers une combinaison interrogative du rapport de la sculpture à l’architecture, sous l’influence d’idées annoncées par le groupe Espace. André Bloc, son fondateur, explore particulièrement la question, depuis sa participation à l’U.A.M., dans une vision synthétique des arts. La monumentalité, principalement par la taille des sculptures exposées, s’accroît au fur et à mesure des années. Les sculptures géométriques, nombreuses propositions qui s’érigent dans l’espace comme de véritables volumes articulés dans des proportions architecturales, sont de plus en plus reproduites dans les catalogues du Salon.
Maxime Adam-Tessier, alors tourné vers l’abstraction depuis le début des années 1960, choisit de reproduire au catalogue de l’année 1969 une élévation dans l’espace située devant un bâtiment récemment construit. Conçue à partir d’un emboîtement de volumes cubiques, elle surplombe un socle de béton brut. Dénommée Tour, l’œuvre emprunte au domaine architectural la conception d’un espace fermé. La réalisation s’élève de façon magistrale dans un jeu de volumes géométriques. Comme un habitacle surélevé, la sculpture, pourtant fermée sur elle-même, apparaît comme une variation de formes imbriquées en équilibre les unes par rapport aux autres, et participent à la valeur plastique de l’ensemble de l’environnement. Une maquette d’Adam-Tessier exposée au Salon en 1972, Projet pour une architecture, présente une articulation d’éléments en acier autour de lignes de force, verticales et dynamiques. L’équilibre entre obliques, paraboles suspendues et lignes fuyantes constitue un rigoureux assemblage qui rompt, de par sa légèreté aérienne, avec la vigueur des édifices construits. Adam-Tessier réduit l’architecture à ses lignes porteuses dans une maquette empreinte d’un sentiment de monumentalité. Le projet semble pourtant ne pas avoir été réalisé pour une destination particulière.
Erwin Patkaï, sculpteur hongrois, expérimente la résine dans la construction de compositions de plus en plus géométriques. Évidées par l’intérieur, elles s’articulent autour de volumes caverneux comme une architecture de grottes reconstituées, presque inaccessibles à la vue comme physiquement. Il explore ce procédé intermédiaire dans la série des Cathédrales dont il présente les prémices en 1971, et un état en 1973. Des lames de béton se superposent en une élévation de multiples strates qui s’agglomèrent par la fonte simultanée du polystyrène découpé. Cette variation autour de la technique de la cire perdue s’élabore au moyen de matériaux nouveaux. Ces espaces intérieurs, pensés comme une organisation de l’espace vide, qu’il découpe dans la matière, appréhendant sa sculpture d’abord en négatif, appellent à la constitution d’un univers architecturé aux formes nouvelles dans une esthétique qui pourrait faire écho aux arts premiers, et précolombiens en particulier au regard de l’œuvre envoyée en 1977. Des matières architecturées prennent vie, et Patkaï signe ici une dentelle de béton qui trouve son sens dans sa simple structure interne, à l’instar de son envoi de 1976.
Stahly, au contact de sa nouvelle épouse Parvine Curie qui expose également au Salon, travaille la structure verticale de son œuvre, dépouillée peu à peu de ses détails organiques. Il dresse dans le bois un Petit Labyrinthe monumental, dans lequel des formes plus ou moins incurvées se superposent. Il joue de l’enfermement et de la déstructuration du volume de base, décomposé en plusieurs signaux monumentaux. Une sculpture décomposée à même le sol se déploie dans l’espace, laissant évoluer un jeu d’espaces vides errant entre des volumes plus ou moins resserrés. Sa femme, Parvine Curie, pousse cette déstructuration en de larges portiques démultipliés. L’espace interne qu’ils renferment, par son étroitesse, confère à ces Labyrinthes présentés en 1971 une forte impression d’immensité, quand il ne s’agit pas de monumentalité (envoi de 1974). L’artiste explore cette imbrication de volumes architecturés au moyen de volumes simples, dont la surface laisse deviner le caractère aléatoire et sculpté de la matière : les arêtes demeurent irrégulières.
Marino di Teana porte la sculpture à la hauteur de l’architecture dans de très volumineuses sculptures. La jeunesse lui semble déjà loin. Il combine au moyen de l’acier un équilibre en tension entre verticales et horizontales, rappelant les fondations et les lignes porteuses de l’architecture aux structures métalliques. La première œuvre qu’il reproduit au catalogue en 1968 annonce déjà la réalisation de sculptures monumentales dans l’espace citadin. Ses envois suivants, Structure architecturale n°38 en 1969 et Structure architecturale développable, se perçoivent comme de denses volumes découpés avec précision. En même temps, l’espace qu’elles convoitent appelle à un environnement monumental, proportionnel à leur dimension. L’espace citadin semble leur être le plus approprié. Ces maquettes annoncent ainsi une relation étroite, en équilibre tangible, avec l’espace qu’elles cernent. Lignes perpendiculaires, volumes géométriques ou plans élancés à la verticale, ces sculptures révèlent une dimension rigoureuse et dense, des tensions en équilibre subtil, et dominent fortement les envois du Salon, particulièrement ceux qui usent du métal ou de l’acier.
Mathilde Desvages
in Le Salon de la Jeune Sculpture au temps de Denys Chevalier (1949-1978), thèse de doctorat sous la direction de Paul-Louis Rinuy, Université Paris 8, soutenue en 2016.
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