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Un Salon d’esprit monumental

La crise de la sculpture publique se situe autant dans la difficulté des sculpteurs à renouveler leur langage plastique que dans le manque d’espaces susceptibles de recevoir leurs œuvres. Le 1% ou la commande commémorative mettent en lumière la difficulté à allier réalisations architecturales et sculpturales. La sculpture participe souvent en qualité d’ornement ou d’élément décoratif à une architecture nouvelle ou préexistante. Soit la sculpture parvient à une autonomie dans sa fonction comme dans sa nature, mais en dehors de sa destination, soit elle se maintient dans un rôle ornemental ou encore dans une apparence peu audacieuse.


Même si le plein air contribue à faciliter l’inscription d’œuvres dans des environnements architecturaux ou paysagers, et permet l’exposition d’œuvres de grandes dimensions, le Salon témoigne d’un sentiment de monumentalité dont la presse relève les faiblesses et les manques.

Jean Bouret, qui soutient solidement la sculpture figurative, estime que le Salon ne peut répondre à son ambition monumentale qu’en optant pour une large présentation d’œuvres détournées de la figure humaine.

« Le 4° Salon accuse furieusement cette rupture. Une œuvre de Veysset vient heureusement nous donner des gages pour l’avenir, car elle exprime tout ce que l’homme doit aux sources mythiques éternelles. Les œuvres d’Achiam, d’Andréou, de Belo, de Forani, de Cognasse, de Gili, de Gilioli, de Kretz, de Leleu, de Longuet, de Martinie, de Maskoianui et Signori, de Saupique et d’Oudot sont parmi les meilleures choses dans cet ensemble assez incohérent. À quoi bon parler de sculpture monumentale dans une préface, regretter sa présence vivante, quand on choisit pour illustrer ce discours cent-vingt-et-une pièces dont vingt seulement pourraient faire regretter la disparition d’un tel art. »


Jean Bouret demeure persuadé que seuls quelques sculpteurs, de tendances diverses, peuvent prétendre au monumental. Le choix de Chevalier d’exposer un grand nombre de sculpteurs laisse le critique sceptique. Pour lui, la monumentalité n’est ni une question de tendance esthétique, ni de style, mais avant tout une intention commune à un petit nombre de sculpteurs.


Dix ans après, le Salon désespère Raymond Charmet, parce qu’il ne voit aucune ambition monumentale dans la primauté accordée aux œuvres non figuratives :

« Les monuments, les œuvres de format important, naguère nombreuses, se font rares. À part le Loca-Motif de Berrocal, l’Oiseau Harpe de Leygue d’une envolée fine, on n’en voit guère. »


La valeur sociale tend difficilement à dépasser la valeur commémorative. Cependant, le Salon, même en envisageant une certaine monumentalité dans la sculpture de plein air, demeure limité :

« Certes, il leur manque toujours l’essentiel, la destination architecturale et monumentale, qui fut la raison d’être de la grande sculpture dans toutes les grandes civilisations. Crise profonde, que ce Salon met en évidence. La sculpture se réduit à des objets, pièces de décoration ou semi-fétiches. N’ayant le support ni d’un style ni d’une religion, ces objets évoluent fatalement vers des recherches techniques, subtiles et curieuses, mais finalement assez décevantes. Ce Salon de la Jeune Sculpture a au moins l’avantage de les mettre en évidence. »


Symptomatique d’une crise de la sculpture partagée entre objet et ambition sociale, le Salon souffre surtout, selon Raymond Cogniat, du manque de destination des envois. Destinées à un Salon dans lequel il n’y a, par ailleurs, aucune ligne esthétique dessinée, les œuvres exposées peuvent difficilement s’intégrer à un espace contraint ou être motivées par une ambition au- delà des dimensions imposées par le plein air. Un avis contre lequel s’élève Denys Chevalier en 1962. Le Salon n’est, pour lui, non pas le reflet de la crise sociale de la sculpture, mais celui des préoccupations des artistes :

« À signaler enfin, que de nombreuses œuvres de dimensions imposantes, d’esprit monumental, indiquent le sens des préoccupations architecturales très présentes dans l’expression des sculpteurs d’aujourd’hui. En effet, dans le plâtre, le bronze, le bois, la pierre, ou le polyester Huart, Breton, Colvin, Zwobada, Roussil, Étienne-Martin, Gili, Stahly, Lorenzo Hail, etc, ont envoyé des sculptures atteignant parfois plus de quatre mètres de haut. Nulle maladresse ne peut faire qu’à travers cette occupation de l’espace et son organisation, à travers l’appétit de grandeur dont cette ambition est le signe, ne transparaisse, comme en filigrane, un assez pathétique besoin d’affirmation et de certitude. Plus qu’un vague espoir et plus qu’une promesse nous voyons, dans cette courageuse attitude, non point traces de présomption, mais indices de renouvellement »


Le Salon stimule la création pour l’empêcher de se limiter à la réalisation de sculptures de petite taille. Seulement, le bibelot contre lequel il s’érigeait durant les années antérieures semble pour Cogniat une constante du Salon, indépendamment de la taille des envois. Chevalier continue de défendre l’intérêt majeur du plein air :

« Bien que les sculpteurs invités à ce Salon ne semblent pas encore avoir compris la nécessité de n’y montrer que de grandes choses, nombreux sont ceux qui ont fait un effort digne d’estime [...]. Certainement parce que les sculpteurs, devant affronter le plein-air, ont, plus ou moins, été forcé de penser leurs œuvres en termes monumentaux et architecturaux. D’autre part, le chaos visuel est ici tellement atténué qu’il disparaît. Tout s’ordonne, avec une assez remarquable cohérence, en raison de l’influence de communauté de principes chez la plupart des exposants, au stade de l’élaboration (faire une œuvre pour le plein-air), deuxièmement, les innombrables possibilités de présentation (dues à la diversité du lieu) qui permettent, pour chaque envoi, un placement particulier et étudié. »


La destination de l’œuvre, qui conditionne sa part sociale, semble malgré tout ici toute relative. Les confusions perdurent entre caractère monumental et intégration dans un environnement extérieur :

« La Jeune Sculpture a réintégré les jardins du Musée Rodin, cadre de plein air qui met l’artiste en condition de penser son œuvre pour un endroit déterminé et l’oblige presque à exécuter une sorte de morceau de concours. Certains sculpteurs profitent de l’aubaine et se lancent dans le monumental, d’autres ignorent délibérément les problèmes de la lumière crue du plein air et l’affrontement d’espaces verts plantés à l’ancienne. »


« L’esprit monumental » qu’évoque Chevalier se limite à un rassemblement de sculptures dont la seule cohérence réside dans l’intention des artistes de créer des œuvres de grande dimension. Le Salon se fait alors le réceptacle d’une crise de l’objet, du monumental, de l’incapacité à penser la sculpture en accord avec une architecture, de l’essoufflement de registres esthétiques et de l’absence de destination de la sculpture.


De l’ambition monumentale des premières années qu’espère voir renaître Chevalier grâce au Salon s’opère une dérive vers la dimension publique de la sculpture. Sa destination se limite à son public, et non la perspective d’un espace particulier, d’un environnement architecturé ou paysagé.


Finalement, en plus du non parti-pris qui conduit à l’incapacité de participer à une redéfinition totale de la sculpture, le plein air contribue également à limiter l’ambition monumentale du Salon. La conviction qu’une œuvre conçue pour l’extérieur revêt d’emblée une dimension sociale ne peut résoudre le problème de l’intégration de la sculpture à l’architecture, ni asseoir le caractère définitif d’une installation dans un espace prédéfini.


Mathilde Desvages

Le Salon de la Jeune Sculpture au temps de Denys Chevalier (1949-1978), thèse de doctorat sous la direction de Paul-Louis Rinuy, Université Paris 8, soutenue en 2016.


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